Carte Satellite Texte

L’architecture contemporaine à portée de casque le long du canal

Gigogne - Immeuble contenant 31 logements-ateliers pour artistes - Rue du Cheval Noir 17 - ©ADT-ATO/Julien Timmermans

«Archi Audio» propose une balade audioguidée, à cheval sur le canal, à travers une vingtaine d’exemples d’architecture contemporaine.

2013-10-15 – Bruxelles a plus d’un tour dans son sac, et les promenades culturelles ne manquent pas à son programme. Bière ou chocolat, Art Nouveau ou post-industrie, art dans le métro ou bande dessinée: le touriste ou le curieux en trouveront pour tous leurs goûts. À cheval sur le canal, sur les territoires de la commune de Molenbeek et de la Ville de Bruxelles, «Archi Audio» propose un «Détour dans l’architecture contemporaine» audioguidé à travers l’exposé d’une vingtaine d’exemples d’architecture contemporaine.

La formule est en soi originale: une application MP3 à télécharger sur son smartphone ou sa tablette, pour se balader une paire d’heures à travers ruelles et places, de part et d’autre des portes de Flandre et de Ninove. En chemin, avec des stations imposées face à une série de bâtiments, les commentaires des architectes concepteurs du projet en question, et d’urbanistes, de spécialistes de la ville, de membres d’associations de quartier. De Bruxellois aussi, voisins ou gens de passage qui, comme vous, se font des réflexions sur ce qu’ils côtoient et en font part.

Mosaïque de témoignages

C’est passionnant, l’occasion d’ouvrir les yeux sur ce que c’est que le « vivre ensemble », comment ça se conçoit, comment ça se mesure, comment se définissent les besoins contemporains des habitants de la ville. La gouaille de quelques vieux Molenbeekois vient colorer de leurs témoignages l’évolution que ces quartiers ont connue. C’est drôle, c’est touchant, ces voix du sud, une voix flamande, des voix techniques, qui s’en mêlent, se mêlent, s’emmêlent parfois dans un montage sonore original, un peu rap, un peu rock, un peu flonflon. Une manière surprenante et jamais lassante d’organiser l’information que le casque déverse à votre oreille, à flot continu avec des pauses et des bruits de pas.

On y prend l’air du temps, ainsi que celui du bon vieux temps, où les quartiers étaient des villages, où la cohabitation était une figure imposée de la cité urbaine. Et aussi celui du temps où l’on faisait n’importe quoi en matière d’urbanisme – mais le ton n’est pas à la condamnation, plutôt à la compréhension que les besoins de la ville évoluent. Surtout, mises bout à bout, ces interventions des architectes font prendre la mesure des implications que construire signifie. Construire du logement ou du bureau, des salles de classes ou des ateliers d’artistes, une crèche ou un jardin, un abribus. Construire du neuf en rasant l’ancien, ou en gardant ses façades (une spécialité bruxelloise), ou en ne conservant que la structure. Construire en gardant le plan au sol, ou en le redessinant; construire à bas coût, ou construire passif (c’est plus cher mais rentable du fait des économies d’énergie qui seront générées). Construire en puisant un maximum de lumière même si la rue est étroite, même si les étages s’empilent. Construire en participant à la vie en ville, en «interagissant» avec l’environnement. En favorisant la vie en communauté, ou en préservant la vie privée. Construire en bois, ou en briques, en acier et en verre, ou dans ces matières dont on continuera à ignorer le nom, mais qui s’adaptent si bien à la sécurité, à l’isolation, à l’esthétique moderniste.

Des réflexions approfondies

Construire du beau? Mais qu’est-ce que le beau?On entend les voix de passants qui apprécient – ou moins. On entend les architectes raconter les résistances qu’ils ont parfois rencontrées, et comment ils sont parvenus à convaincre. On entend les oiseaux chanter, parce que l’époque est à la plantation d’arbres, parce que le béton doit laisser sa place à la nature, même en ville, surtout en ville.

On apprend comment un bâtiment neuf n’est pas seulement le résultat d’un long travail manuel, de dessins, de calculs, de construction, mais la somme de réflexions extrêmement nourries où pouvoirs publics et concepteurs imaginent des objectifs, analysent, confrontent leurs valeurs, philosophent, modifient les plans, jusqu’à trouver l’accord parfait des formes et des couleurs. On comprend alors que ceux qui témoignent, au fil de la visite, sont des passionnés fiers de leur œuvre.

La langue des passionnés

Historiens et géographes à la fois, ils usent d’ailleurs d’un vocabulaire qui claque, parlant à tout va d’intégration, de sens, de besoins, de modernité, de fonctions sociales, d’impératifs économiques, d’anticipation, de respect. Et à les entendre ainsi sans les voir, on perçoit de plus en plus ces concepteurs de projets comme des démiurges, des créateurs de mondes, bien loin du schieven architek du folklore bruxellois!

Allez-y, lancez-vous, seul ou en famille, en toute saison. Vous ne serez pas déçu par ce «Détour dans l’architecture contemporaine» qui vaut le coup. Mais choisissez un jour lumineux, car tout est prétexte à photos. Vous en sortirez plus curieux, et plus riche: non seulement de l’architecture et de la ville, mais même et surtout d’une nouvelle manière d’ouvrir l’œil, et le bon!

Plus d'infos: www.archi-audio.be

Texte: Véronique KIRSZBAUM

Photos: Julien TIMMERMANS