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Quand Bruxelles sentait la bière

La Brasserie Atlas - ©ADT-ATO

Le premier hôtel avec vue sur le canal s’est ouvert le 1er mai dans un bâtiment de l’ancienne Brasserie Belle-Vue. Un site jadis brassicole qui accueillera aussi bientôt un espace de formation hôtelière. L’occasion d’une petite balade à la découverte des anciennes brasseries bruxelloises dans les quartiers centraux de Bruxelles, le long du canal: Wielemans-Ceuppens devenue Wiels, Cantillon toujours en activité, Vandenheuvel en voie de reconversion, etc.

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2013-05-13 - Des brasseries, Bruxelles en comptait des dizaines, fin du 19e, début du 20e siècle. Alors que dans les campagnes, la bière était consommée juste après le brassage, car elle ne pouvait être conservée, dans la capitale, les brasseurs produisaient de la bière de longue conservation. D’innombrables caves, de particuliers comme de lieux publics (hôpitaux, Palais de Justice…), étaient louées pour entreposer des fûts. Et des estaminets s’ouvraient partout: plus de 8.000 dénombrés en 1885. Bref, Bruxelles sentait la bière!

Que reste-t-il de cet héritage, au début du 21e siècle? Assez peu de chose. L’odeur typique du travail brassicole, certainement pas. Mais desnoms de rues, par contre: de la Brasserie, des Brasseries, des Brasseurs, du Houblon, de la Levure, de la Cuve… Et heureusement quelques bâtiments industriels remarquables, témoins de cette belle époque. Dont plusieurs dans les quartiers centraux, le long du canal. Outre Belle-Vue, en pleine reconversion hôtelière près de la Porte de Ninove, d’autres grands noms de la brasserie belge sont en effet toujours visibles sur quelques façades. Wielemans-Ceuppens (Wiels), à Forest; Vandenheuvel, près de la Gare de l’Ouest; Atlas à Anderlecht; et bien sûr, Cantillon, toujours en activité elle, près de la gare du Midi.

Vandenheuvel se reconstruit

Situé près du nœud de communication de la Gare de l’Ouest, le site Vandenheuvel vient de faire l’objet d’une transaction immobilière. Un des propriétaires des lieux a pris possession de l’ensemble de l’emblématique bâtiment d’angle qui abritait la partie administrative de la brasserie.

Il va relancer la rénovation de la façade, puis des divers plateaux pour aménager des logements aux étages et des commerces au rez-de-chaussée. Ce qui prendra vraisemblablement plusieurs années. Mais la dynamique constructive semble enfin relancée sur ce site, même si les bâtiments qui abritaient la salle de brassage et d’embouteillage ont disparu de longue date.

La mue de Wielemans-Ceuppens en Wiels

Autre brasserie sauvée de la destruction, du moins en partie, Wielemans-Ceuppens, le long du chemin de fer en contrebas du parc de Forest, a réussi une belle reconversion. Le bâtiment témoin de l’architecture typique des années 30, dessiné par l’architecte moderniste Adrien Blomme, racheté par la Région de Bruxelles-Capitale, a été reconverti en centre d’art contemporain, le Wiels.

Un sauvetage intervenu in extremis, car un premier acheteur du site avait déjà commencé le démantèlement et la vente de cuves de brassage. Trois d’entre elles ont heureusement pu être sauvées et leur cuivre rouge donne un cachet unique au hall d’entrée du Wiels.

Nouvelles affectations pour Atlas

Du côté d’Anderlecht, le nom des Brasseries Atlas ponctue, en pierres blanches dans un mur de briques rouges, la rue du Libre Examen, à deux pas du début de la rue Wayez et du canal. Une partie importante du bâtiment a été sauvegardée. Elle accueille un entrepôt de la communauté Emmaüs. Et un projet de logements se développe entre les rues du Libre Examen et Scheutvled.

Elles étaient nombreuses, jadis, les brasseries actives dans les quartiers plus industriels proches du canal, idéalement situées par rapport à la voie d’eau utilisée pour transporter les marchandises. Notamment à Anderlecht. La Brasserie Malterie Bavaro Belge se situait le long du canal lui-même, quai Fernand Demets. Pratiquement en face, près de la chaussée de Mons, subsiste encore l’avenue de la Brasserie, siège de l’ex-Brasserie Impérial. Et à deux rues de là, la Brasserie Cantillon est toujours en activité.

Cantillon veille à la tradition

Cette petite brasserie, qui abrite aussi le Musée de la Gueuze, est un peu la gardienne de la tradition, même si elle aime tester des innovations. Le Lambic y est toujours produit comme à l’origine, sans adjonction de levures. Il fermente dans des fûts en bois et ses bières fruitées (Kriek, Framboise…) sont produites avec de vrais fruits, et non des sirops. Deux fois par an, le brassin est public chez Cantillon. Et il est possible de visiter le musée toute l’année.

Un peu plus loin du canal, Anderlecht accueillait aussi jadis la Brasserie Moeremans, située chaussée de Mons, près du Parc Astrid. Si, comme elle, la majorité des brasseries ont aujourd’hui disparu à Bruxelles, il en est une nouvelle qui est venue s’implanter à Molenbeek. La Brasserie de la Senne a pris ses quartiers à la chaussée de Gand. Deux jeunes brasseurs renouent avec la tradition des bières artisanales non filtrées. Leurs activités avaient débuté à la périphérie de Bruxelles, mais ils ont préféré revenir en ville, une fois trouvé le lieu adéquat.

De la bière sous le Parlement européen

Les quartiers moins centraux de Bruxelles avaient bien entendu aussi leurs brasseries, aujourd’hui oubliées. Qui se souvient, par exemple, qu’à l’emplacement actuel du gigantesque Parlement européen se trouvait, jusqu’en 1987, la Brasserie Léopold? Les Grandes brasseries d’Ixelles se situaient, elles, entre les étangs d’Ixelles et la chaussée de Vleurgat. Seules ont survécu quelques maisons de la brasserie à la rue Lannoy, avec une petite plaque sur l’une d’elles.

D’étonnantes réaffectations

Mais ces quartiers plus éloignés du canal recèlent aussi encore quelques étonnantes réaffectations de bâtiments brassicoles. La brasserie Aerts, par exemple, abrite le Théâtre Le Public à Saint-Josse. D’anciennes parties du site sont encore préservées, tant à la rue Braemt qu’à l’arrière, rue des Deux Tours. Et dans la Commune voisine, à Schaerbeek, un autre vestige de cette histoire bruxelloise de la bière subsiste: un immeuble de la Brasserie Le Phare, transformé en logements.

Par rapport au prestigieux passé brassicole de Bruxelles, le volume actuel de production de bière n’est bien sûr guère significatif. Les temps ont changé, les entreprises se sont regroupées pour survivre, elles ont dû quitter l’agglomération pour trouver davantage d’espace... Mais si la quantité a disparu, la qualité reste encore au rendez-vous, avec deux petites entreprises artisanales: la Brasserie Cantillon et la Brasserie de la Senne.

Jean-Pierre BORLOO