2013-05-16 - Tout le monde a au moins entendu parler un jour de l’ancienne Brasserie Belle-Vue, à Molenbeek. Ses Gueuze et ses Kriek ont marqué les esprits pendant pratiquement tout le XXesiècle. Ses publicités à l’accent bruxellois avec comme slogan «Au plus que tu la gouttes, au mieux que ça te goutte» ne sont pas passées inaperçues il y a quelques années. Et les plus anciens se souviennent sans doute que ce sponsor figurait dans les années ‘70 sur les maillots du Sporting d’Anderlecht, que l’équipe vient d’ailleurs de porter à nouveau début mai, lors du match contre le Standard, à l’occasion du centenaire de la brasserie.
Et quel Bruxellois n’a jamais vu, le long du canal, près de la Porte de Ninove, les longs murs de briques rouges, typiques de l’architecture industrielle de jadis, arborant le gigantesque logo de la Brasserie Belle-Vue ?
Un site en pleine reconversion
L’activité brassicole ayant été relocalisée ailleurs, le site est aujourd’hui en pleine restructuration. Il est si vaste qu’il a été scindé en trois grandes parties.
L’une d’elles, aménagée par un promoteur privé et exploitée par un groupe hôtelier international, propose depuis le 1er mai dernier 150 chambres à prix modiques. Ce promoteur planche sur la deuxième partie du site, à l’étrange architecture industrielle.
Quant à la troisième partie, située au coin du quai du Hainaut et de la rue Evariste Pierron, la Commune de Molenbeek va y installer un espace de formation lié aux métiers de l’hôtellerie, qui permettra même aux étudiants de mettre leurs acquis en pratique dans un petit hôtel de 29 chambres actuellement en construction juste à côté. Au total, la Commune investit 8,2 millions d’euros dans ce projet, avec l’aide du Fonds européen de développement régional (FEDER), de l’État fédéral et de la Région bruxelloise.
Anciennes écuries et malterie
Nous avons visité le chantier pour nous imprégner de l’ambiance des lieux. Et d’atmosphère, ce bâtiment industriel n’en manque pas…
En 2009, la Commune de Molenbeek a acquis l’espace qui était dédié aux anciennes écuries, remplacées par l’hôtel, ainsi que la malterie de la brasserie. Celle-ci offre quatre grands plateaux de quelque 600 m2, plus un sous-sol. Les murs de la malterie ont été soigneusement découpés, pour ouvrir deux puits de lumière en façades avant et arrière. C’est par cette ouverture avant que se feront les entrées menant aux différents espaces du site. «Vers le sous-sol, explique l’architecte Dyana Chardome, il y aura une espèce de descente initiatique qui mènera à un hammam. L’espace clos se verra équipé de boxes étanches permettant de créer l’atmosphère humide nécessaire au hammam.»
Au rez-de-chaussée, près de l’hôtel en construction à la place des anciennes écuries, l’espace de formation permettra aux élèves d’apprendre la théorie qu’ils mettront ensuite en pratique juste à côté. Au rez viendra également s’installer le restaurant d’économie sociale, déjà présent à deux pas de l’ancienne brasserie. Les escaliers d’origine ont été maintenus comme plusieurs éléments de l’ancienne industrie: des briques, des portes, des radiateurs… L’heure est à la récupération et au recyclage.
Le premier étage devrait accueillir la mission locale chargée de la formation. Le deuxième, une antenne du CPAS de Molenbeek. Le sol de cet étage intrigue. Il n’est pas tout à fait plat : des pavés légèrement bombés forment des structures destinées, autrefois, à faciliter l’écoulement de l’eau jusqu’à des rigoles plus importantes, ensuite vers des descentes d’eau. Le coup d’œil en vaut la peine.
Vue incroyable sur le canal
Plus on monte dans le bâtiment, plus l’horizon se dégage. Le regard dépasse la partie préservée du mur d’enceinte. «Nous avons choisi de créer une ouverture dans ce mur, précise l’architecte, pour marquer l’entrée du lieu. Par contre, en gardant une partie du mur il y aura moyen d’aménager un espace terrasse qui pourrait se révéler par la suite fort convivial, un peu abrité de la circulation.»
Au troisième niveau, le regard s’envole au-dessus de ce mur. Il plonge d’abord dans le canal pour ensuite rebondir sur la rive opposée, vers d’autres paysages industriels et notamment une tour à plomb où étaient coulée la grenaille de plomb destinée aux munitions. À droite, la Tour du Midi. En face, le Palais de Justice. À gauche, la tour de l’Hôtel de Ville de Bruxelles et même la cathédrale. Tout le centre-ville s’expose en un seul travelling. Ce troisième étage n’a pas encore d’affectation définitive. Mais le lieu en a déjà enchanté plus d’un, certains y imaginant bien leur bureau.
Le quatrième et dernier étage est encore plus étrange et agréable. Le plafond y est en légère pente. Côté canal sont percées des trouées arrondies qui mettent encore mieux en valeur le paysage urbain. Dans un réflexe, les visiteurs sortent appareils photos ou smartphones pour capturer quelques clichés. C’est dire à quel point la vue d’ici exerce son pouvoir attractif.
Un étrange bâtiment
Sur le côté gauche, en regardant vers la voie d’eau, une curiosité fixe le regard: le toit d’un autre bâtiment de l’ancienne brasserie. Sa forme est unique. Le toit est ouvert sur tout son pourtour. A l’intérieur, il présente une structure biseautée. Cela devait servir à mieux aérer le bâtiment, tout comme les grandes ouvertures pratiquées sur le côté. Car à l’époque, le lambic utilisé pour la fabrication de la gueuze était une bière de fermentation spontanée: une fois brassé, le moût était entreposé dans de grands bacs refroidissoirs pour qu’il se charge en bactéries présentes dans l’air, bactéries qui allaient déclencher la fermentation. Il fallait donc organiser une circulation de l’air dans tout le bâtiment.
Echéances 2014 et 2015
Au final, l’impression après la visite des lieux est fort agréable: implanté en bordure du canal, dans un lieu en pleine mutation, «L’Espace hôtelier Belle-Vue» présente bien des atouts. Et il devrait avoir un impact non négligeable sur le quartier, tant pour l’animation que pour la formation des jeunes, la création d’emplois et l’accueil d’associations.
La partie hôtel qui remplace les anciennes écuries devrait être terminée à l’été 2014 alors que l’ancienne malterie, qui accueillera les formations, sera plus probablement inaugurée au premier trimestre 2015. L’hôtel étant un bâtiment neuf, il répondra aux exigences d’une construction passive. La malterie, elle, sera rénovée avec le label «basse énergie».
Jean-Pierre BORLOO