«C’est le canal bruxellois qui coule dans mes veines» déclarait-il lorsqu’il a reçu, avec le spectacle «La vie c’est comme un arbre», le prix du Bruxellois de l’année 2012 dans le domaine culturel. Comédien, animateur radio, présentateur d’événements, homme de contacts, il est l’un des fondateurs et des moteurs de la compagnie des Voyageurs sans bagage… Issam se sait «la belle gueule de service» et l’assume comme porte-parole de la bande. Rencontre au-delà de ses yeux bleus
2013-04-15 - Si vous voyiez la tendresse avec laquelle il se penche sur son enfance! Quatrième dans une fratrie de cinq: pas le syndrome du petit dernier surprotégé, ni de l’aîné qui devrait montrer l’exemple. Peut-être quand même Issam cherche-t-il le moyen de montrer qu’il est un peu là… Il avait à peine douze ans et venait de commencer ses secondaires quand il s’inscrit au concours Paroles, et s’attaque à rien moins que Madame Sarfati, le personnage célébrissime d’Elie Semoun. C’est sûr qu’on le remarque. «J’ai été convié à refaire mon show à l’inauguration du collège, entre autres spectacles proposés par les rhétoriciens, moi qui était haut comme trois pommes» rigole-t-il. Mais surtout, un prof le prend sous son aile, et lui donnera pendant des années des cours de théâtre. «Ça va déterminer durablement mon intérêt pour le cours de français!»
Pourtant, la crise d’adolescence l’attend comme tout le monde au tournant. Sa 3e année finit mal et les conseillers PMS lui suggèrent de s’orienter vers l’enseignement technique d’animation, puisque là il est sûr de briller. Refus catégorique de sa part: ce qu’il veut, c’est rester dans l’enseignement général – mais il choisit quand même de changer pour une école dans laquelle il se sentirait «moins différent : j’ai les yeux bleus, mais le cheveu noir. J’avais le sentiment de ne pas être tout à fait à ma place». Il faut dire qu’il habite Evere, et fréquente le collège Roi Baudouin à Schaerbeek. Va donc pour la Fraternité, rue de Molenbeek à Laeken. Certes l’établissement est moins prestigieux, mais il n’y ressent pas autant le besoin de se justifier.
Deux diplômes, trois langues
Et ça lui laisse un peu de temps pour, en plus des cours de théâtre qu’il continue à prendre chez son ancien prof, se lancer le week-end au Cemea dans une formation d’animateur. En fin de rhéto, il a donc en poche deux diplômes, dont l’un va lui assurer des rentrées d’argent pendant ses études. Il rêve un peu du Conservatoire, mais son père, garagiste de son état, et même s’il est discrètement admiratif de son talent, tranche que ce n’est pas un métier. Issam se rabat sur les relations publiques à l’Institut Arthur Haulot… où le niveau très poussé de néerlandais et d’anglais lui donne du fil à retordre. «Mais j’en suis venu à bout, me voilà parfait trilingue, et vous savez comment? c’est par mes jobs dans les festivals que j’ai tout appris!»
Oui mais pourquoi a-t-il dit, dans cet entretien accordé au journal «Le Soir», lors du couronnement du Bruxellois de l’année, que «c’est l’eau du canal de Bruxelles qui coule dans ses veines»? «Moi je me sens profondément Bruxellois! Jacques Brel, le Marché matinal, Dansaert, l’incinérateur, les ketjes, Anneessens, je suis tout ça! J’ai traîné partout, je connais tout le monde » C’est la raison pour laquelle il reste accroché ici, alors que deux de ses frères font carrière, l’un à Londres, l’autre à Dubaï.
«Il n’y a pas de petites actions. Tout contribue au développement de la ville»
Lui, son graduat obtenu, décroche un premier vrai emploi à la Sabam puis, très vite, chez BNP. De conseiller commercial au guichet de la banque, il évolue vers l’événementiel. Corporate, conventions, galas: c’est encore son terrain de jeu, même s’il a fini par prendre un statut de consultant qui lui laisse tout le temps nécessaire de développer tout le reste qui lui tient à cœur. Aujourd’hui, à 29 ans, c’est un véritable homme-orchestre qui jongle avec les casquettes. On le trouve en radio, sur Kif une fois par semaine, et sur Fun tous les jours pendant les vacances scolaires. En télé, il collabore à des projets belges comme «Melting Pot Café». Il a participé à quelques projets associatifs, il s’est occupé d’enfants des bidonvilles de Tanger, il soutient les artistes urbains… Il ponctue cette litanie d’un «il n’y a pas de petites actions. Tout contribue au développement de la ville. C’est ce qui me branche.»
Et puis, en 2010, il a mis tous ses talents au service de LA grande aventure qu’a constitué «La vie c’est comme un arbre». La pièce raconte le périple de trois jeunes Marocains désœuvrés qui quittent Tanger en 1964 pour monter en Belgique. Leurs espoirs et leurs déboires, leur accomplissement et leurs déconvenues, leurs rencontres hautes-en-couleurs sous-tendent un spectacle qui tape juste en mêlant humour et émotions puisés dans leurs souvenirs de famille. «On a joué dans de petites salles, raconte Issam,avant de tenir l’affiche du Théâtre de la Toison d’Or, salle comble pendant tout un mois. Et en tout lieu, dans le public, des spectateurs de tous horizons qui se mélangent, se reconnaissent et rient ensemble les uns des autres, mais surtout d’eux-mêmes».
Macédoine de talents
Et comment donne-t-on naissance à un tel projet? « Avec Rachid (Hirchi – l’auteur) et Mohamed (Allouchi), on se connaît depuis des années. Rachid avait ébauché un texte, ils l’ont retravaillé, ont étoffé les personnages, les ont multipliés. Eux deux ont scénographié puis mis en scène. Moi, avec mes contacts dans la comm’, j’ai été chargé de la production. J’ai sonné à toutes les portes, et quand la porte résistait j’essayais la fenêtre! On a fondé la Compagnie des Voyageurs sans bagage, et on a recruté notre équipe au Conservatoire, à l’IAD, sur le même ton qu’on a donné à la pièce: des gens en tous genres, un Gréco-Irlandais, une juive, une Argentine, quelques Marocains… C’est ça qui donne le relief, le piquant.» Et il conclut: «Le succès a été au-delà de nos espérances! Non, en fait, ce n’est pas vrai: on avait fait tout ce qu’il fallait pour que ça marche!»
Prochaines représentations
Prochaines étapes en Wallonie, puis en France et au Maroc. Entretemps «La vie c’est comme un arbre» se donne encore deux dates bruxelloises les 10 et 11 mai 2013 au Centre culturel d’Uccle.
Véronique KIRSZBAUM