Le canal, ou plutôt les canaux (canal de Willebroeck et canal de Charleroi), ont profondément marquéle paysage et la structure spatiale de Bruxelles, influençant son développement urbain, son contexte socio-économique et enrichissant son patrimoine architectural industriel.
La Senne, aux sources de Bruxelles
La vallée de la Senne, le cours d’eau qui irrigue Bruxelles du Sud-Ouest au Nord-Est, constitue le berceau de la ville. Bruxelles serait en effet née aux alentours du 10e siècle sur l’île Saint-Géry, dans la zone marécageuse à l’extrémité navigable de la Senne. Cette zone constituait alors le lieu de transbordement des marchandises. En amont, la Senne était très difficilement navigable en raison de ses nombreux méandres liés à l’ensablement et au faible relief. C’est donc aux alentours de l’île Saint-Géry que furent érigés une série de moulins hydrauliques et que convergèrent les principaux axes de communication médiévaux, fluvial mais aussi terrestres. C’est aussi là que les commerçants et artisans installèrent leurs activités, et que les premiers établissements religieux et militaires se développèrent.
A partir du 13e siècle, Bruxelles se positionne comme une importante ville industrielle. La rivière constitue la principale source d’énergie primaire et permet d’actionner les nombreux moulins construits sur ses rives. Les aménagements hydrauliques permettent l’écrêtage des crues, la création de viviers à poissons et l’irrigation d’espaces à l’écart des zones inondables. La Senne facilite le développement des industries textiles et alimentaires. Elle est l’axe principal qui relie Bruxelles au pôle économique anversois et à la mer du Nord, via l’Escaut.
Mais elle constitue aussi la voie d’évacuation des eaux usagées, domestiques et industrielles, devenant un véritable égout à ciel ouvert car le réseau d’égouttage de Bruxelles ne verra le jour que dans la seconde moitié du 19e siècle.
Le Canal de Willebroeck (1551-1561)
L’essor économique initial de Bruxelles repose sur la draperie, la tapisserie, la dentelle… Son port est aménagé aux environs de l’actuelle place Sainte-Catherine. Un quartier dont de nombreux axes portent, aujourd’hui encore, des noms évocateurs de ce passé fluvial, commercial et artisanal (quai aux Briques, quai du Commerce, quai à la Houille, etc.) alors que les bassins ont depuis longtemps été comblés. Mais si le commerce s’effectue par voie d’eau, le cours incertain de la Senne et les droits de passage des villes situées sur son parcours freinent son développement.
En 1477, Marie de Bourgogne autorise la construction d’un canal avec un tracé différent de celui de la Senne. Mais il faut attendre près d’un siècle, et une nouvelle autorisation de Charles Quint, pour que débutent les travaux de ce qui deviendra le Canal de Willebroeck.
Construit entre 1551 et 1561, il relie Bruxelles à Anvers en 30 km (soit 1 à 2 jours de navigation), nettement moins que les 120 km de méandres de la Senne (8 jours navigation ou plus). Dans Bruxelles, les quais du nouveau canal accueillent entrepôts, magasins, industries, hôtels…
Le Canal de Charleroi (1830-1870)
Le 18e siècle voit l’émergence de nouvelles industries : faïencerie, carrosserie, imprimerie… Certaines choisissent le centre-ville, d’autres s’implantent plus loin le long de l’axe central de la vallée de la Senne : Anderlecht, Molenbeek… L’essor urbain et commercial se renforçant, l’arrivée des matière premières, dont le charbon, devient crucial.
En 1827, c’est sous le régime hollandais que débute la construction d’un canal reliant Bruxelles à Charleroi et au bassin minier du Hainaut. Il est inauguré en 1832. Le Canal de Willebroeck est, lui, approfondi afin d’accueillir des navires d’un tonnage plus important. La jonction de ces deux voies d’eau est réalisée à hauteur de la place de l’Yser.
La mise en service du Canal de Charleroi favorise l’arrivée massive de charbon et soutient un essor industriel, démographique et urbain spectaculaire de Bruxelles, qui devient le premier bassin d’emplois industriels du pays. La mécanisation de l’industrie suscite l’apparition de fonderies, d’entreprises de constructions mécaniques et métalliques. Ce qui accélère le développement du réseau ferroviaire, qui marque également l’espace urbain d’une série de césures.
Bruxelles, port de mer (1900-1922)
Á la fin du 19e siècle, le réseau ferroviaire arrive à saturation, ce qui impose peu à peu l’idée de transformer Bruxelles en port de mer. Ceci en aménageant des infrastructures portuaires plus larges et plus profondes, pour accueillir non plus seulement le trafic fluvial et ses péniches, mais le trafic maritime avec ses navires de mer.
La concrétisation de cette idée, au tout début du 20e siècle, provoque une métamorphose urbanistique. Les trois grands bassins Gobert, Béco et Vergote sont inaugurés en 1922. L’avant-port, vers l’aval, est inauguré en 1939. Pour assurer une liaison en ligne droite avec le canal de Charleroi, le lit du canal de Willebroek est déplacé de 60 m vers l’Ouest : les canaux vers le Nord et le Sud se rejoignent désormais à l’emplacement actuel du pont Sainctelette.
L’ouverture de ce port de mer influence le développement urbain de la ville. Désormais inutiles, les bassins de l’ancien port, dans le quartier Sainte-Catherine, sont progressivement remblayés. Un vaste complexe industriel apparaît sur le site de Tour et Taxis : gare de marchandises, zone douanière, entrepôts… De nouveaux secteurs se développent, au Nord et au Sud du tracé de l’axe formé par les deux canaux réunis : chimie, pétrochimie, matériaux de construction, usines à gaz, cokerie, cimenterie, etc. Ceci avec des sites plus vastes, désormais, que les petites et moyennes entreprises familiales situées de part et d’autre de la partie centrale de cet axe.
Malgré les dégâts de la Seconde Guerre mondiale, le Port continue à s’étendre vers le Nord. Ses infrastructures sont à nouveau modernisées dans la seconde moitié du 20e siècle : aménagement de quais, apparition du Centre TIR, élargissement du canal, nouveaux ponts, etc.
Désindustrialisation et revitalisation urbaine
A partir des années ‘70, Bruxelles, comme bien d’autres grandes villes, voit sa population diminuer, avec le départ des classes moyennes et supérieures vers la périphérie. Par ailleurs, Bruxelles subit d’autant plus le phénomène globalisé de désindustrialisation qu’elle a été, jusqu’à la fin des années ‘60, le principal bassin d’emplois ouvriers du pays : en 40 ans, elle passera de 160.000 emplois industriels à moins de 30.000. Le long de l’axe du canal, la logistique remplace peu à peu l’industrie. Depuis le tournant des 20e et 21e siècles, l’activité portuaire représente quelque 12.000 emplois et le territoire du canal accueille, tous secteurs confondus, quelque 6.000 entreprises. Le Port enregistre ces dernières années le passage annuel de quelque 6,5 millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de plus de 611.000 camions.
Mais tout au long de l’axe du canal, et singulièrement dans sa partie centrale, la désindustrialisation a entraîné l’apparition de friches et une détérioration du bâti. Ce phénomène s’est couplé à l’arrivée de populations à revenus plus modestes. Le tout conduisant certains quartiers à afficher de nombreux indicateurs préoccupants (revenu, emploi…) au moment de la création de la Région de Bruxelles-Capitale, en 1989. Depuis, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et les communes concernées ont multiplié les initiatives (Contrats de quartiers, Délégation du développement du Pentagone...), dont plusieurs avec le soutien des Fonds structurels européens (FEDER, URBAN…) au profit des zones industrielles en reconversion, puis des zones urbaines en retard de développement.
Ces programmes ont produit des résultats perceptibles à de nombreux endroits, avec notamment une réelle revitalisation et un important repeuplement de la rive droite du canal, entre celui-ci et les boulevards du centre. Mais certains quartiers riverains du canal, qui présentent d’importants potentiels, notamment fonciers, connaissent toujours des difficultés et sont, qui plus est, confrontés à l’actuel boom démographique bruxellois. C’est ce qui a notamment conduit le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale à initier un Plan-Canal afin de mobiliser les potentiels pour répondre au mieux aux besoins.
(*) Ce texte est largement basé sur les chapitres «Histoire-Patrimoine» et «Géographie physique-Environnement» de l’atlas «Canal? Vous avez dit canal?! – État des lieux illustré du Territoire du canal à Bruxelles» qui a été publié en 2014 par l’Agence de Développement Territorial pour la Région de Bruxelles-Capitale. Ce livre est disponible gratuitement en téléchargement en FR et NL. Vu sa taille (50 Mo), ce document s'ouvre lentement dans les navigateurs. Pour le consulter, nous vous conseillons donc de l'enregistrer sur votre ordinateur.